Comment accompagner l’enfant confronté à la mort d’un parent ? partie 2/3
Ce texte est à nouveau extrait de l’excellent article de Isabelle Gravillon « L’enfant face à la mort de son Parent » publié page 20 du magazine « L’école des Parents » N° 616 de septembre octobre 2015 dont le dossier traitait de l’Enfant Orphelin.
Le moment de l’annonce
A qui revient l’annonce ?
Le parent qui reste peut être convaincu de l’impérieuse nécessité de parler à son enfant, et pourtant reculer devant l’obstacle. « En verbalisant la mort, il peut avoir l’impression de faire mourir son conjoint une deuxième fois, décrit Patrick Ben Soussan. Prendre cette annonce à son compte lui donne automatiquement une place centrale, il est celui par qui la terrible nouvelle arrive. De là à se sentir responsable du choc que l’enfant va subir, il n’y a qu’un pas, susceptible de le retenir. »
Alors vaudrait-il mieux que l’annonce soit faite par une autre personne que le parent survivant, un proche de la famille, le médecin ? A vrai dire, c’est parfois le cas, au gré des circonstances totalement chahutées qui entourent le décès. L’enfant peut être présent au moment de la mort, et en être informé par le personnel médical ou les secours. Un grand frère, une grande sœur ou un grand parent peut aussi lui délivrer la nouvelle au retour de l’école, alors que l’autre parent s’est rendu auprès de son conjoint défunt. « Dans un premier temps, l’annonce ne pourra sans doute pas être faite en bonne et due forme, remarque Murielle Jacquet-Smailovic, psychologue dans l’unité de soins palliatifs de l’hôpital d’Avesnes (59) (1). Sur le moment, le père, ou la mère, bouleversé par l’événement dramatique qu’il doit affronter dans l’urgence, fait ce qu’il peut. »
Mais, dans un deuxième temps, très vite, il importe que le parent survivant reprenne la main et s’adresse à tous ses enfants réunis, afin de ne pas morceler la fratrie déjà soumise à rude épreuve par le deuil. « Si épouvantable soit le chagrin dans lequel il se trouve, si lourde soit la charge de dire la mort de l’autre parent, cette responsabilité lui incombe. Parce que personne mieux qu’un père ou une mère ne peut soutenir ses enfants dans l’adversité », avance Patrick Ben Soussan. Déléguer cette annonce à quelqu’un d’autre risquerait de lui faire perdre son statut d’adulte de confiance aux yeux de ses enfants, de pilier sur lequel ils vont pouvoir s’appuyer pour se reconstruire, après ce tremblement de terre.
Sans confier à quelqu’un d’autre cette épouvantable mission, le parent survivant peut se faire entourer en cet instant crucial. C’est même fortement recommandé. « Lorsque j’ai dû annoncer à mes deux fils de cinq et sept ans que leur papa venait de décéder d’une rupture d’anévrisme, j’ai demandé à ma sœur d’être présente. Quand je sentais que je flanchais, son sourire, ses regards d’encouragement m’aidaient à poursuivre. Et quand je me suis effondrée en sanglots, elle a pris le relais quelques instants, le temps que je retrouve mes esprits, confie Sandrine, jeune veuve de 35 ans. C’était important pour moi d’assumer cette annonce, de montrer à mes deux garçons qu’il pouvait compter sur moi, que nous allions faire face ensemble. »
Le Choix des mots
Quels termes employer ? Jusqu’où aller dans le récit des circonstances de la mort ? «Je conseille toujours de choisir des mots précis, qui ne seront pas susceptibles de prêter à confusion chez l’enfant, précise Murielle Jacquet-Smailovic. L’adulte, lui-même angoissé par la mort, peut avoir tendance à utiliser des métaphores pour édulcorer la triste réalité et alléger la douleur. « Ton papa a disparu », « ta maman est partie », « elle nous a quittés »… or ces tournures peuvent laisser croire à un retour possible et conduire sur le chemin du déni.»
Il s’agit donc de lui énoncer clairement « ton parent est mort » sans lui asséner cette phrase abruptement, mais en l’intégrant dans un récit qui reprend le contexte du décès. «Ce matin, papa est tombé par terre à son travail. Comme cela semblait grave, ses collègues ont appelé les pompiers qui l’ont emmené à l’hôpital. Là-bas, les médecins ont tout fait pour le sauver, mais ils n’ont pas réussi et son cœur s’est arrêté de battre. Ils ont dit qu’il était mort.» Selon Hélène Romano, ce type d’annonce contient les éléments importants auxquels il faut veiller : «Le mot « mort » est prononcé et arrive au terme d’une progression. Des tiers sont introduits -les pompiers, les médecins-, ce qui fournit à l’enfant un éventuel bouc émissaire, autre que le parent survivant : ce sont eux qui n’ont pas su sauver son parent. Enfin, l’image du cœur qui s’arrête de battre est extrêmement parlante, quel que soit l’age de l’enfant.»
Quand le décès survient suite à une maladie, l’annonce a lieu dans un contexte différent. Le parent a subi des traitements lourds, son enfant l’a vu fatigué, diminué, faisant des allers-retours entre la maison et l’hôpital : la mort n’a pas frappé dans un ciel serein. «Lorsque la mort s’inscrit dans une temporalité où elle était déjà présente, même si elle restait dans l’ordre du fantasme ou de l’imaginaire, l’entourage en parle plus facilement que dans le cas d’une disparition brutale, souligne Patrick Ben Soussan. Il y a eu en quelque sorte une chronique de la mort annoncée.» Encore faut-il, évidemment que la maladie du parent n’ait pas été un sujet tabou, que l’enfant y ait été associé. «D’une manière générale l’annonce sera moins compliquée à faire s’il règne dans la famille un dialogue ouvert, une bonne qualité relationnelle», poursuit le pédopsychiatre.
Isabelle Gravillon
(1) Auteure de L’enfant, la maladie et la mort (Ed. De Boeck, 2006)